Séance du 25 septembre 2012
Cotisations chômage des frontaliers travaillant en Suisse
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 49, adressée à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur la question du financement des indemnités chômage des travailleurs frontaliers exerçant en Suisse, aujourd’hui très problématique et, surtout, très défavorable à la France du fait de la substitution du droit communautaire à certains accords bilatéraux.
En cas de chômage total, les frontaliers sont indemnisés par leur pays de résidence, en l’occurrence la France. La convention franco-suisse d’assurance chômage du 14 décembre 1978 prévoyait une rétrocession d’une partie des cotisations perçues sur les salaires des frontaliers au titre de l’assurance chômage, équivalant à 90 % du montant des cotisations.
À la suite de l’entrée en application de l’accord sur la libre circulation des personnes, et conformément au protocole de l’annexe 2 de celui-ci, cette rétrocession a été maintenue jusqu’au 31 mai 2009. Ainsi, des derniers chiffres dont on dispose, il ressort que le montant de la rétrocession des cotisations auprès de l’UNEDIC s’est élevé à plus de 119 millions d’euros, soit autant de manque à gagner pour la France.
Depuis le 1er janvier 2010, conformément à la reprise de l’acquis communautaire par la Suisse, cette rétrocession n’a plus lieu d’exister.
Depuis le 1er avril 2012, le règlement (CE) n° 883/2004 s’applique entre la Suisse et les États de l’Union européenne. Aux termes de ce nouveau texte, les prestations de chômage restent à la charge de l’institution de l’État de résidence. Toutefois, l’État d’emploi rembourse la totalité du montant des prestations servies pendant les trois premiers mois de l’indemnisation. Cette période peut être étendue à cinq mois, sous condition de durée minimale de la dernière activité.
Je dois, à ce propos, signaler que le règlement stipule que les États peuvent prévoir d’autres méthodes de remboursement, notamment en concluant des accords bilatéraux.
Monsieur le ministre, je souhaiterais donc savoir, d’une part, si les autorités françaises sont en mesure de demander le remboursement aux autorités helvétiques, ce qui suppose d’avoir identifié parfaitement les chômeurs frontaliers, et, d’autre part, à quelle durée correspond aujourd’hui la rétrocession : trois ou cinq mois ?
Enfin, le Gouvernement compte-t-il saisir la possibilité offerte par le règlement et entamer une négociation avec la Confédération helvétique pour aller au-delà ?
La question se pose d’autant plus que, au regard de certains métiers en tension – ceux de la mécanique, la profession d’infirmière –, la France subit une « double peine ». En effet, nous formons les jeunes à ces métiers, souvent par la voie de l’apprentissage, et, au terme de leur formation, ils sont « aspirés » par la Suisse, où les salaires sont plus attractifs. Cependant, lorsque la situation économique de ce pays se dégrade et qu’ils sont, le cas échéant, licenciés, c’est le système d’indemnisation du chômage français qui les prend en charge. La France paye ainsi et la formation et les indemnités de chômage.
Au vu des informations que nous avons pu recueillir, il semblerait que la Suisse ne soit pas opposée à négocier la mise en place d’un dispositif différent, moins pénalisant pour la France.
Je tiens également à souligner que les frontaliers n’entendent pas être des assistés du régime français, alors qu’ils ont acquitté leurs cotisations en Suisse et qu’ils ne peuvent prétendre à l’indemnisation dans ce pays du fait de la législation helvétique.
En conclusion, monsieur le ministre, au moment où le Gouvernement recherche tous les moyens et les ressources possibles afin de réduire les déficits publics, notamment celui de la sécurité sociale, une telle mesure me semblerait plus juste et plus équitable que celles que vous vous apprêteriez, selon nos informations, à mettre en œuvre. Celles-ci visent à relever de 8 % à 13,5 % la cotisation d’assurance maladie des frontaliers affiliés à la couverture maladie universelle à compter de janvier prochain, ce qui induirait une perte de pouvoir d’achat moyenne de 1 500 euros pour chacun des 180 000 travailleurs frontaliers français. De surcroît, il semble que vous envisageriez d’avancer de mai 2014 au début de l’année 2013 l’échéance de fin du droit d’option permettant à ces actifs de choisir entre la CMU et l’assurance privée.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Monsieur le sénateur, Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, aurait aimé vous répondre lui-même, mais il est retenu par un autre engagement.
Je confirme que le système de rétrocession réciproque des contributions d’assurance chômage qui prévalait entre la France et la Suisse a pris fin le 31 mai 2009. Depuis le 1er mai 2010, le nouveau règlement CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 et ses règlements d’application portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale sont entrés en vigueur. Ils instituent un nouveau système de rétrocession fondé sur le remboursement des prestations de chômage des trois premiers mois d’indemnisation, ce remboursement pouvant être étendu à cinq mois.
Depuis le 1er avril 2012, ces nouveaux règlements communautaires sont applicables à la Suisse. La France peut donc demander à la Suisse le remboursement des allocations chômage correspondant à des droits ouverts à compter du 1er avril 2012.
Pour déterminer le montant devant donner lieu à remboursement, il est nécessaire d’attendre quelques mois. Les premières demandes seront ainsi adressées en fin d’année 2012 et concerneront les dossiers des allocataires justifiant d’un droit ouvert à compter du 1er avril 2012 et d’un dernier jour indemnisé au cours de la période de remboursement de trois ou cinq mois, soit au plus tard le 30 juin 2012. En effet, pour demander le remboursement des allocations versées, Pôle Emploi dispose d’un délai de six mois suivant la fin du semestre civil au cours duquel a été effectué le dernier paiement des prestations de chômage.
Par conséquent, si l’on se réfère à la masse de prestations versées en 2011 correspondant à trois mois d’indemnisation, la France aurait pu exiger un remboursement de 40 millions d’euros au minimum au titre de l’année 2011, sur la base d’environ 4 500 allocataires indemnisés par l’assurance chômage.
Plus généralement, les demandes de remboursement pour les États de l’Union européenne ont été mises en place à compter de la date d’entrée en vigueur des nouveaux règlements communautaires, c’est-à-dire le 1er mai 2010.
Or les premières demandes de remboursement ont été adressées aux autres États membres de l’Union européenne à compter du mois de mai 2011, soit un an après.
Si les nouveaux règlements ont permis de rééquilibrer un peu la charge financière entre l’ancien État d’emploi et l’État de résidence, un déséquilibre persiste aujourd’hui en défaveur d’États membres comptant un nombre important de travailleurs frontaliers exerçant une activité dans un autre État membre.
Je veux vous préciser, monsieur le sénateur, que, consciente du caractère non équilibré du système actuel, qui fait reposer sur l’État de résidence la charge de l’indemnisation, la Commission européenne a publié une déclaration par laquelle elle s’engage notamment à lancer un processus de discussion sur le chapitre « chômage », afin d’évaluer si un réexamen des principes posés dans le règlement CE n° 883/2004 est nécessaire.
Ce réexamen devrait aboutir à des propositions de modifications législatives en 2014. En attendant, la France se réserve la possibilité de négocier d’autres méthodes de remboursement plus favorables par voie d’accord bilatéral. Vous en serez bien évidemment tenu informé, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Je vous remercie, monsieur le ministre, des précisions que vous avez bien voulu m’apporter sur un sujet que vous connaissez bien, votre département comptant également des travailleurs frontaliers.
L’injustice que j’ai soulignée doit effectivement être réparée. Je prends acte de la volonté du Gouvernement d’aboutir à une solution plus juste et plus équitable, moins pénalisante à la fois pour nos entreprises et pour nos concitoyens. Peut-être cela passe-t-il, en effet, par des modifications législatives. En tout état de cause, je serai extrêmement attentif aux propositions qui seront faites, tout comme vous, je le sais, monsieur le ministre, et M. Moscovici, dont le département est lui aussi très concerné par ce problème.
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