Intervention en discussion générale
Madame le Président, Madame le Ministre, Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues,
Présenté comme « l’un des marqueurs culturels de ce quinquennat », le texte sur lequel nous nous apprêtons à débattre aujourd’hui révèle la grande fragilité de votre politique culturelle. Bien que pavé de bonnes intentions, ce projet de loi se limite pourtant à de grandes déclarations, sans vision d’ensemble, ni perspective, pour ce domaine si particulier, si singulier, qu’est la culture française.
Il s’agit d’abord de relever un manque global de soutien financier : si le budget de la Culture en 2015 a été sanctuarisé, il entérine néanmoins des crédits en chute libre. Sur ces trois derniers exercices, les moyens sont en effet en baisse : entre la loi de finances pour 2012 et le projet de loi de finances pour 2015, les crédits de paiement de la mission Culture dans leur ensemble ont été réduits de 166 millions d’euros, soit une baisse de 6 % en trois ans ! Par ailleurs, alors que vous confiez un rôle accru aux collectivités territoriales en matière de protection du patrimoine, l’Etat diminue leurs dotations. Ce désengagement, qui inquiète les élus locaux de tous bords, induira un effet ciseau, qui sera contre-productif. Le projet de loi débattu aujourd’hui est l’incarnation du manque d’ambition de votre politique, qui se limite à des aspects déclaratifs, s’inscrivant dans une forme de droit mou, ainsi que l’a constaté le Conseil économique et social.
Par ailleurs, ce texte est fourre-tout, un patchwork, avec un très vaste périmètre et, Madame le Ministre, quelques principes généraux n’ont malheureusement jamais fait une politique culturelle. Sur ce point, je pense notamment à l’exploitation numérique de la musique. Vous avez en effet confié, au mois de mai, une mission parallèle à M. Marc Schwartz, que je salue pour ses travaux, alors que le projet de loi était déjà en préparation. Pendant notre travail en commission, il y a deux semaines, en parlant de la musique, des relations entre les producteurs et les musiciens, nous avons été systématiquement renvoyés vers les conclusions futures de la mission Schwartz, dont on vient d’apprendre l’échec. La question de la répartition des fonds provenant du streaming n’est donc pas réglée, et devra être tranchée dans l’hémicycle. Cela dénote un manque de méthode, de cohérence, voire un amateurisme, qui a conduit à la situation ubuesque où nous nous trouvons aujourd’hui.
Enfin, à l’heure où la création et les modes d’accès à la culture sont révolutionnés par les nouvelles technologies, ce projet de loi aborde à peine la question du numérique, et la contribution de ses acteurs au financement de la création. L’économie numérique, c’est pourtant le bouleversement de notre époque, et sa prise en compte, sa valorisation, nécessitent évidemment des adaptations dans nos lois actuelles. Encore un sujet éludé, ou plutôt reporté, qui laisse un manque important dans ce projet de loi, au profit de propositions avant tout « cosmétiques », ou d’affichage.
On parle ainsi de politique culturelle, mais d’une manière lacunaire, ponctuelle, au fond sans créativité.
Espérons que les travaux parlementaires permettront de donner à ce texte un corps, une consistance, et il s‘agira aussi de clarifier, certaines mesures. Je pense notamment aux contrats des artistes interprètes et des artistes musiciens, à l’article 5. Vous avez accepté une première avancée sur le sujet en commission, en adoptant un amendement précisant que les producteurs de musique adressent déjà des redditions de comptes semestriels aux artistes interprètes, et que cette obligation ne concernera pas logiquement les artistes musiciens. Nous restons mobilisés sur de nombreux sujets, et nous ne manquerons pas de faire des propositions pour donner une cohérence au texte.
Je souhaite ensuite revenir sur un enjeu qui me tient particulièrement à cœur, celui de la copie privée. Le sujet a été survolé dans ce texte, avec, certes, quelques propositions reprenant celles contenues dans le rapport remis en juillet avec M. Rogemont, allant dans le bon sens : notamment plus de transparence, dans le fait de mettre en place une base de données regroupant l’ensemble des sommes versée par les SPRD au titre de l’action artistique et culturelle, ou d’étendre le quart des perceptions de la copie privée à l’éducation artistique et culturelle.
Cependant, Madame le Ministre, trop de questions restent en suspens, auxquelles le texte ne parvient pas à répondre. Trente ans après sa création, et en dépit de l’évolution dynamique des montants perçus – qui, je le rappelle, s’élèvent tout de même à près de 235 millions d’euros par an – le dispositif actuel de rémunération pour copie privée est confronté à des défis considérables. Je pense notamment au développement du numérique et du « cloud », qui révolutionnent les modes de copie, et favorisent l’accès aux contenus en ligne. Le dispositif traverse aussi une crise importante, avec des difficultés de gouvernance ; et des questions comme la territorialité de la redevance, le montant de la rémunération, et son assiette, qui restent également problématiques. Le temps est clairement venu de s’interroger sur ce dispositif, et surtout de le moderniser, avec des avancées de bon sens, en tenant compte des évolutions technologiques.
Malheureusement, les amendements présentés par le Gouvernement et la majorité socialiste ne répondent que partiellement à ces enjeux. On nous a, par exemple, proposé un amendement actant la présence de « représentants des ministères » pour les études d’usages, et non expressément des « experts », reconnus logiquement pour leur compétence dans le secteur de l’industrie culturelle. Le récent rapport Maugüé demandait pourtant des études d’usages soumises à une vraie « expertise indépendante », via un collège de personnalités. Notre rapport avec Marcel Rogemont allait même plus loin, en proposant la création d’une autorité administrative indépendante, chargée de l’homologation des barèmes. Ces propositions récentes n’ont visiblement pas retenu l’attention du Gouvernement, et nous le regrettons.
La question de la copie privée est ainsi un exemple parmi tant d’autres du manque de vision stratégique de ce texte, qui rassemble des mesures éparses, sans cohérence globale, ne nous permettant pas de parler d’une réelle politique culturelle. La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Pour citer André Malraux, « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » : Madame le Ministre, c’est justement cette ambition que nous vous réclamons aujourd’hui, pour donner au milieu culturel les moyens de se réformer, de s’épanouir, et d’innover.
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