Note de Gilles CARREZ, Président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale
Les élus locaux que nous sommes doivent prendre conscience des conséquences radicales de la crise des finances publiques. L’Etat qui porte 80 % de la dette publique et l’essentiel du déficit annuel est désormais dans l’incapacité, et pour longtemps, de soutenir les transferts financiers entre son budget et les comptes locaux. Les dotations aux collectivités locales, auxquelles s’ajoutent les exonérations et dégrèvements de fiscalité locale représentent le cinquième du budget de l’Etat. C’est le résultat d’une longue histoire, faite de la transformation d’impôts locaux en dotations et de l’inter-position du contribuable national au bénéfice d’un contribuable local sollicité à l’excès. Et ce qui devait arriver se produit : l’Etat impécunieux, soumis à l’extrême rigidité de ses dépenses, n’a plus d’autre choix que d’agir sur les transferts financiers aux collectivités locales. Ce mouvement sera durable, comme l’a été depuis 20 ans la lente érosion de la dépense d’investissement d’Etat.
La brutalité de la baisse des dotations (moins 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017) est d’autant plus regrettable qu’elle s’inscrit dans un contexte fiscal nouveau. A la suite de la réforme de la taxe professionnelle, les collectivités territoriales sont désormais privées du pouvoir de taux sur les deux-tiers de la nouvelle fiscalité économique, constituée par la CVAE et la CFE. Un pouvoir de taux subsiste sur la fiscalité ménages, mais celle-ci est préemptée par les hausses massives de fiscalité d’Etat subies par les ménages ces dernières années. La seule marge de manœuvre qui subsiste, côté recettes, est celle de l’emprunt, les sources de financement s’étant reconstituées et les conditions de taux améliorées. Mais certaines collectivités sont déjà très endettées et la dette locale, même si elle est d’une remarquable stabilité par rapport au PIB depuis des décennies, s’ajoute à une dette publique nationale qui dépasse les 2000 milliards d’euros et franchira bientôt le seuil des 100 % du PIB.
Le temps est donc venu de l’ajustement du rythme d’évolution de la dépense publique locale. Il est à craindre que, dans l’urgence, les réductions portent d’abord sur les dépenses d’investissement à un horizon que je situe plutôt à partir de 2016-2017. Mais l’objectif prioritaire doit être celui de l’effort sur les dépenses de fonctionnement. Des gains de productivité et d’efficacité sont possibles, mais à plusieurs conditions. Citons en quelques-unes.
D’abord, l’Etat doit « balayer devant sa porte ». L’incantation à la réduction des normes, toujours contredite par le comportement des administrations centrales, doit cesser ; il faut passer aux actes et prendre au plus vite les décisions radicales que chacun connait, tant sur les flux que sur les stocks de normes.
Les dépenses sociales liées au vieillissement (APA), à la solidarité (RSA), au handicap (PCH) ont un caractère national et les départements n’en sont que les simples opérateurs. Leur maîtrise passe par la réforme complète du système, soit par « renationalisation », soit par décentralisation au risque de la rupture d’égalité entre territoires.
Au niveau du bloc communal, le temps de la mutualisation et de la recherche systématique des gains de productivité est venu. Mais attention aux facilités d’une péréquation exacerbée, tant verticale qu’horizontale, qui permet à certaines collectivités de maintenir une dépense par habitant pléthorique par prélèvement sur les ressources de collectivités qui dépensent beaucoup moins qu’elles !
La vérité des comptes et des coûts doit devenir la règle. Avec l’abandon de la comptabilité fonctionnelle, l’absence de comptabilité analytique, force est de constater aujourd’hui que nous avons régressé dans la connaissance de la dépense locale. Le rapport « qualité-prix » du service public local, la recherche des bonnes pratiques, les comparaisons (benchmarking) doivent devenir la règle, plutôt que des transferts à l’aveugle entre collectivités opérés par amendements parlementaires en fonction des rapports de force du moment.
Enfin, pour maîtriser la dynamique de la dépense locale, il faudra poser des questions fondamentales : comment assouplir le statut du personnel, face à un Etat enclin à distribuer des bonus aux catégories C dont lui-même est largement dépourvu, comment retrouver liberté et efficacité sur les marchés publics, sur les achats, comment renoncer à certaines politiques imposées en général par l’Etat ?
C’est une nouvelle ère qui s’annonce pour les finances locales. Chacun d’entre nous doit l’accepter, mais exiger en contrepartie les marges de manœuvre permettant d’y faire face. L’Etat est nu, le mettre en cause sans proposer relève désormais de la gesticulation.
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