Virginie Duby-Muller est intervenue jeudi pour défendre la création d’un droit voisin au profit des éditeurs de service de presse en ligne.
Il s’agit d’une proposition de loi du groupe MODEM défendue par Patrick Mignola, que La République en Marche a refusé d’adopter.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui vise à reconnaître un droit voisin au profit des éditeurs de presse en ligne et des agences de presse. L’objectif est de leur donner le droit de délivrer des licences et d’être rémunérés pour l’utilisation de leurs contenus.
Cette proposition de loi se veut ambitieuse. Elle comporte une proposition forte pour les éditeurs de services de presse en ligne – ses auteurs ont fait le choix d’une large protection, en visant tout ou partie des publications en ligne et en incluant les snippets, liens vers des articles de presse accompagnés d’extraits ou de résumés, qui sont au coeur des débats menés à Bruxelles – , mais aussi pour les agences de presse, qui sont confrontées aux mêmes difficultés que les publications et ont dû consentir des investissements importants dans le numérique.
La numérisation de la presse a eu, nous le savons, des effets bénéfiques nombreux et indéniables pour son lectorat en ligne. Le public est aujourd’hui plus diversifié ; 92 % des Français consultent la presse d’information générale politique. Cependant, l’indépendance financière de la presse et son pluralisme sont plus que jamais fragilisés par les GAFAM, qui captent une partie de la valeur créée – nous en sommes tous conscients. En 2016, en France, 2,4 des 3,5 milliards d’euros d’investissements publicitaires dans le numérique ont été absorbés par Google et Facebook, qui captent, à eux seuls, plus des deux tiers de la croissance du marché publicitaire en ligne.
En octobre 2016, dans mon rapport pour avis sur les crédits consacrés à la presse dans le projet de loi de finances pour 2017, j’avais soulevé la problématique pour les éditeurs : « Le modèle économique de la presse en ligne est menacé par la captation de ses ressources publicitaires par les infomédiaires qui tirent des profits de la diffusion de contenus qu’ils ne créent pas et dont ils n’assument pas les coûts de production. » J’y mentionnais notamment les « crawlers », qui « diffusent des panoramas de presse souvent sans autorisation préalable ni rémunération des éditeurs et qui réalisent aujourd’hui en France un chiffre d’affaires d’environ 30 millions d’euros dont les éditeurs ne profitent pas ».
J’écrivais aussi dans ce rapport parlementaire : « au niveau européen, les lignes ont commencé à bouger ». Or, près de deux ans plus tard, les discussions à Bruxelles restent très complexes et délicates autour de l’article 11 de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Le rapport de forces pour le maintien de ce droit voisin n’est pas acquis. Alors que ce droit existe depuis 1993 pour les industries culturelles des secteurs du cinéma, de la musique et de l’audiovisuel, on ne parvient pas à le mettre en place pour la presse, laquelle voit ainsi s’éloigner la perspective d’une protection à court terme.
Dès octobre 2016, j’avais ainsi alerté le précédent gouvernement sur la nécessité de profiter de la fenêtre de tir ouverte par la Commission européenne. Aujourd’hui, les entreprises de presse appellent donc de leurs voeux la création d’un droit voisin comme condition indispensable pour consacrer la propriété intellectuelle de leur travail. Elles ont même évoqué une « urgence démocratique » à intervenir sur le sujet.
Sans préjuger des débats européens, je crois que l’adoption par notre Parlement de la proposition de loi de M. Mignola enverrait un signal fort sur la scène internationale. Elle aurait un impact immédiat sur l’économie de la presse et fournirait aux éditeurs des moyens juridiques de dialoguer et de négocier avec les plateformes mondiales, tout en les protégeant.
Nous devons agir et être force de proposition sur ce sujet. Il y va de notre responsabilité en tant que parlementaires. Le texte qui nous est soumis va donc dans le bon sens, et doit être abordé dans un esprit transpartisan. Je m’étonne d’ailleurs de l’opposition en commission des députés du groupe La République en marche à ce texte, alors que la mesure proposée était inscrite dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron.
Mes chers collègues, faisons preuve de courage politique, d’esprit de responsabilité et aussi de bon sens sur ce texte. J’espère que nous nous retrouverons pour le voter.