De Xavier Berne
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la promesse de François Hollande d’offrir des tablettes à tous les élèves de cinquième à partir de 2016 est loin de convaincre… Deux parlementaires de l’opposition ont récemment saisi la balle au bond pour pointer du doigt le coût et l’utilité d’un tel déploiement.
Une promesse floue qui peine à convaincre
Lors de son intervention télévisée du 6 novembre dernier, le président de la République a déclaré qu’à partir de la rentrée 2016, « tous les élèves de classe de cinquième (…) seront équipés d’une tablette » numérique. Même si François Hollande a également promis que ces collégiens « auront justement une formation avec le numérique », la nouvelle fut loin de susciter l’enthousiasme, tant cette annonce semblait à la fois creuse en termes d’usages pédagogiques et coûteuse par rapport au prix moyen de tels appareils…
Interrogé sur le coût et les moyens à allouer à ce volet du futur « grand plan pour le numérique à l’école », le chef de l’État a vaguement assuré : « On dégagera l’argent nécessaire ». Le locataire de l’Élysée expliquait dans le même temps que « si on fait simplement de la distribution de matériel, ça apparaîtra comme un gadget, comme une offrande avant je ne sais quel rendez-vous électoral… [Alors] ça ne marchera pas. »
Des questions de coût, mais aussi d’utilité
Comme on pouvait s’y attendre, cette promesse s’est transformée en pain bénit pour l’opposition. Ce matin, la députée UMP Virginie Duby-Muller a ainsi transmis une question écrite au ministère de l’Éducation nationale, non sans laisser transparaître son agacement. « Alors que pour 800 000 tablettes en 2016 – et 3,3 millions d’ici à 5 ans – on parle d’un coût de 2 milliards à 3 milliards d’euros, elle souhaiterait savoir comment les collectivités locales déjà exsangues vont pouvoir assumer ce nouvel investissement à 80 % et sinon qui en assurera le financement » demande notamment l’élue.
Le chiffrage d’un tel déploiement reste cependant délicat. Si l’on part d’un prix moyen de 150 euros par tablette, et ce pour 800 000 élèves de cinquième par année, cela donne un total de 120 millions d’euros par an. Mais il faut forcément ajouter à cela de nombreuses dépenses liées aux contenus et à la maintenance par exemple…
Virginie Duby-Muller se montre d’autre part dubitative quant à l’utilité de ces tablettes. Citant d’autres plans similaires (« 500 ordinateurs dans la Nièvre dès 1993, et plus de deux ans plus tard pour tous les établissements scolaires, jusqu’à l’opération « Ordicollège » menée depuis 2010 par le président de la République dans son département de Corrèze »…), la parlementaire demande « si un bilan de ces actions précédentes existe et s’il est public ».
Nos confrères du Monde citaient justement il y a peu une étude publiée en 2014 par des chercheurs de l’université de Cergy-Pontoise, et qui portait sur l’utilisation de tablettes en école primaire. Leurs conclusions se voulaient globalement positives : même s’il était précisé que ces appareils peuvent constituer « un frein aux apprentissages, lorsque les processus cognitifs reliés à une tâche sont perturbés par des affichages subreptices », ils sont surtout capables de faire naître « des cas d’usages à valeur ajoutée pour les élèves, s’accompagnant d’une réflexion approfondie de la part des enseignants » (consulter l’étude).
L’opposition s’en donne à coeur joie
Au Sénat, c’est une question écrite un peu plus corrosive qui a été déposée la semaine dernière par Jacques Grosperrin, lui aussi étiqueté UMP. « Ce projet va alourdir encore les obligations pesant sur les enseignants qui devront impérativement être formés aux usages pédagogiques des outils numériques et intégrer ces usages dans leurs pratiques pédagogiques. Or, sauf à croire que toute innovation est nécessairement un progrès, rien n’indique que ces pratiques soient plus propices aux apprentissages que les méthodes non fondées sur l’usage des outils numériques » tonne ainsi le parlementaire, ajoutant qu’il « serait pour le moins paradoxal que la France se lance dans une telle généralisation alors que des études américaines démontrent la nocivité de la multiplication des écrans à l’école ».
Lui aussi semble d’ailleurs enclin à surfer sur la vague du « ras-le-bol fiscal ». « Au moment où la France accuse un déficit record et où les contribuables sont déjà atteints par un sentiment d’écœurement fiscal, il est particulièrement mal venu d’envisager des dépenses aussi importantes pour un projet si peu pertinent » conclut-il.
Les agents de l’Éducation nationale espèrent pouvoir faire entendre leurs voix
Soulignons enfin que même du côté des agents de l’Éducation nationale, la mesure est loin de susciter une adhésion massive. Les membres du syndicat SE-Unsa ont par exemple réagi aux annonces de François Hollande en se disant « pas convaincus qu’un équipement uniforme sur tout le territoire de tous les élèves d’un niveau donné soit la mesure la plus efficace ». L’organisation prône davantage de moyens pour une stratégie globale, qui passerait notamment par un accès à Internet dans chaque salle de classe, avec une variété d’équipements, mais aussi l’ouverture des formats et des logiciels utilisés (dans la droite lignée de la récente campagne menée par l’April au sujet de l’interopérabilité).
Mais toutes ces questions devraient bientôt être remises sur le devant de la scène. Le président a en effet promis qu’une concertation consacrée à la jeunesse se tiendrait durant les mois de janvier et février, et le numérique sera bien évidemment de la partie.
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